À l’occasion de l’anniversaire de la création des CHU, la Bibliothèque Universitaire de Lyon 1 a souhaité revenir sur l’histoire de l’enseignement médical, et sa recherche d’une adéquation entre théorie et pratique. Une partie de l’exposition sera consacrée à l’illustration des livres d’anatomie comme exemple de cette histoire et d’un enseignement de plus en plus tourné vers la pratique.
Et, parce que nombre d’universités actuelles s’interrogent sur la place des médecines alternatives dans l’enseignement universitaire, il semblait intéressant de revenir sur l’histoire de leurs rencontres dans des contextes de découvertes scientifiques et de découvertes culturelles (avec l'orient par exemple), contextes propres aux ambitions des universités médicales.
vendredi 22 janvier 2010
Présentation
L'enseignement médical
De la lectio...
Intermède : étudier dans les livres d'anatomie 1/3
Pierre Choüet, 1670.
Lyon 1, BU Santé
Les premiers manuels de médecine étaient très descriptifs. Beaucoup comme celui-ci-dessus étaient des recueils de témoignages, ceux-ci ayant valeur d’enseignement. On apprenait ainsi la médecine à travers l’exemple des grands médecins. Ce livre du XVIIème siècle témoigne des interventions des médecins latins auprès de malades. Ce type de manuel a servi d’aide-mémoire pour de nombreuses générations d’étudiants de médecine.
Antoine Laurens, 1672.
Lyon 1, BU Santé
Avant le développement de l’anatomie et la Renaissance qui a vu le travail conjoint de médecins et d’artistes autour des livres illustrés, les manuels d’anatomie étaient, à l’image des premières leçons, sans aucune illustration. Après la Renaissance, ce type de livre continua d’être imprimé car il était bien plus transportable que les grands manuels d’anatomie illustrés pour les enseignants très mobiles qui parcouraient l’Europe d’écoles en universités.
C’est donc naturellement qu’un grand nombre de livres médicaux sans illustrations sont imprimés en petits formats, in octavo et in-16°. Enfin, pour l’étudiant en médecine peu fortuné, ces livres sans illustration avaient le mérite de donner les informations essentielles à un moindre coût.
...à l'anatomie.
Cours d'opérations de chrirurgie démontrées au Jardin Royal...
Paris : Veuve d'Houri, 1777.
Lyon 1, BU Santé
Centenaire de la Faculté de Médecine de Paris (1794 - 1894)
Paris : Imprimerie nationale, 1896.
BU santé, Lyon 1
Nous nous autorisons un petit saut dans le temps avec cette image qui vient d’un bas relief de l’université de médecine de Paris, lors de sa construction au XIXème siècle. En effet, de même que les formes de l’enseignement, une autre constante est restée : la place des textes antiques, y compris dans la défense même de l’anatomie et de son importance au sein de l’enseignement médical, que l’on voit ici dans cette représentation d’Esculape enseignant l’anatomie.
Intermède : étudier l'anatomie dans les livres 2/3
C’est avec Vésale que le livre illustré d’anatomie gagne ses lettres de noblesse. La valeur scientifique de ces représentations de corps écorchés, de squelettes y est certes pour beaucoup. La possibilité pour les étudiants de travailler ensuite à partir d’images aura jouée un rôle considérable dans l’histoire de l’enseignement médical et dans la pratique. Mais si, aujourd’hui encore, l’art et la littérature sont marqués par ce livre, c’est aussi par la richesse émotionnelle que contiennent ces gravures. On ne peut se sentir absolument étranger face à cet écorché, à ce mort si vivant les pieds bien sur terre. Les livres d’anatomie actuels ont gommé cette réflexion de la Renaissance sur la mort et la douleur et s’ils dédramatisent la mort, ils véhiculent aussi une image du corps comme objet bien éloigné du souci médical.
Exposition anatomique de la structure du corps humain
Association universitaire d'anatomie et d'implantologie, 1999.
Lyon 1, BU Santé
Lyon 1, Musée d'anatomie
Le créateur de cette technique de conservation des cadavres humains à des fins pédagogiques est Honoré Fragonard. La technique consistait à injecter dans les vaisseaux de la cire après les avoir préalablement drainés, à disséquer la pièce, à la fixer avec le l'alcool, à la sécher, puis à la vernir. Durant sa période d'exercice, il réalise plusieurs milliers de pièces qu'il ambitionne avec le soutien de Vicq D'Azyr de voir réunies au sein d'un cabinet national d'anatomie. Celui-ci ne verra jamais le jour, la plupart des spécimens sont victimes des ravages du temps et celles détenues par le Muséum national d'Histoire Naturelle de Paris sont jetées à la fin du XIXème siècle. De ce fantastique théâtre anatomique où science et recherche artistique se mêlent ne subsistent plus qu'une vingtaine d'œuvres dont le cavalier de l'apocalypse et l'homme à la mandibule conservés à Alfort.
Des critiques de l'enseignement...
Antoine Laurens, 1672.
Lyon 1, BU Santé
Ce texte, qui est un avertissement aux chirurgiens, reprend une distinction importante : médecins/chirurgiens. Les premiers pratiquant l’art noble de la connaissance médicale, accompagnée de la maitrise des langues donnant accès aux textes anciens. Les seconds pratiquant la chirurgie, longtemps délaissée par les médecins du clergé (ecclesia abhorret a sanguine) et les universités. Mais le développement de l’anatomie et de grands médecins comme Chauliac ou Paré vont donner ses lettres de noblesse à la chirurgie. Celle-ci devient alors le modèle d’enseignement puisque le chirurgien apprend à pratiquer et non pas à discourir sur la médecine.
Pratique moderne de la chirurgie,
1776.
Lyon 1, BU Santé
Le texte ci-dessus s’intéresse à un autre point de vue sur la transmission, qui est celui du livre médical. En effet, il semblerait que ce sont ces mêmes médecins ayant beaucoup appris mais peu pratiqué qui rédigent ensuite des manuels de médecine emplis d’erreurs, entrainant un défaut non plus seulement de pratique chez la nouvelle génération d’étudiants, mais aussi de connaissance.
Intermède : étudier l'anatomie dans les livres 3/3
Organisation et physiologie de l'homme expliquées à l'aide de figures coloriées, découpées et superposées
1841.
Lyon 1, BU Santé
Lyon 1, Musée d'Anatomie
De la même façon, le développement technique de la photographie a permis aux anatomistes de présenter leur travail sous la forme de vues stéréoscopiques, permettant à l’étudiant une vue en relief de l’objet photographié. L’image ci-dessous, vous montre un coffret de vues stéréoscopiques suivant pas à pas la coupe d’un cerveau. Il est certain que ce type d’outil permettait aux étudiants un accès à des expériences qu’ils ne pouvaient conduire ou auxquelles ils ne pouvaient participer. Il relève donc du même souci de pratique qui a fait évoluer l’enseignement médical à travers l’histoire.
Felix Alcan, 1892.
Lyon 1, BU Santé
... à une critique de l'université médicale.
Le XVIIéme littéraire regorge de représentations satiriques du médecin tantôt véreux, tantôt incapable. Cette critique fait écho à des inquiétudes sociales et politiques vis-à-vis du manque de pratique des apprentis médecins. Ainsi cet édit du roi de France qui replace le cœur du problème au sein des universités et appelle à un enseignement médical de qualité. Un bon enseignement devrait permettre à la fois d’éviter les erreurs médicales, mais aussi de pouvoir distinguer le bon médecin du charlatan et de restreindre le développement des remèdes trompeurs et des faux médecins.
Rouen : Maurry, 1707.
Lyon 1, Musée d'Histoire de la Médecine
Parmi les critiques adressées aux universitaires un grand nombre venaient des collèges de médecine. Ces collèges regroupaient des médecins pratiquant la médecine en général en lien avec les hôpitaux. Le texte ci-dessous est révélateur des critiques qui étaient adressées aux premières universités médicales, dont faisait partie la Faculté de Bordeaux (créée en 1441). On y retrouve l’idée que l’enseignement est insuffisant, tant en nombre d’enseignants, que par les disciplines, mais la critique vise même ici, la qualité des enseignants qui ne sont pas praticiens.
O. Doin, 1888.
Lyon 1, BU Santé
L'hôpital : solution à l'enseignement de la médecine
Les thèses médicales soutenues à Lyon au XVIIéme et XVIIIéme siècle, et le Collége Royal de Chirurgie de 1774 à 1792
Lyon : Imprimeries Reunies, 1950.
Lyon 1, BU Santé
Face à ce certificat dans le même livre, on peut lire un texte assez révélateur de la qualité des cours très théoriques et assez élémentaires donnés dans les collèges. Il semble évident que collège ou université, ce qui permettait réellement l’acquisition de l’art médical, relevait plus de la pratique hospitalière que de l’enseignement organisé. C’est pourquoi on ne s’étonnera pas de l’importance prise par les hôpitaux dans la formation des praticiens ni de la délivrance de diplômes par ces établissements.
Histoire de l'internat des hôpitaux de Lyon 1520-1900
M. Audin, 1930.
Lyon 1, BU Santé
Les leçons de la clinique
Masson, 1911.
Lyon 1, BU Santé
Vers de nouvelles universités médicales
Auguste Corlieu
Centenaire de la Faculté de Médecine
Paris : Imprimerie nationale, 1896.
Lyon 1, BU Santé.
Le 15 septembre 1793, toutes les académies et sociétés littéraires et savantes sont supprimées par un décret de la Convention. Ce sera l’occasion de repenser l’enseignement médical avant de remettre en place les institutions universitaires. De grands médecins tels Cabanis, Corvisart ou Chaptal ont participé à l’élaboration de nouveaux principes guidant la formation du futur médecin. Dans le texte ci-dessus l’organisation de cette nouvelle université est décrite dans un enthousiasme contagieux. On y retrouve les idées principales : refus du tout théorique, la pratique hospitalière rendue obligatoire.
A. Delahaye, 1864.
Lyon 1, BU Santé
Néanmoins l’aspect pratique de l’enseignement restait quelque chose à toujours travailler. Ainsi en 1880 une circulaire ministérielle demandait à ce que les dissections soient payantes. Le Pr Lortet, doyen de la faculté de Lyon, les avaient autorisées gratuites depuis 1878. Il s'opposa à une telle modification de l’accès des étudiants à la pratique médicale pour la raison principale du besoin de pratiquer des étudiants.Les questions financières, liées à l’organisation des universités, l’accueil des internes à l’hôpital, constituaient donc un frein pour le développement de cette union entre la théorie et la pratique, et il est vrai que c’est un risque dont il faut garder l’université médicale aujourd’hui encore.
Art et architecture des nouvelles universités médicales
Les collections artistiques de la Faculté de médecine de Paris
Masson, 1911.
Lyon 1, BU Santé
Le bas-relief ci-dessus illustre cette volonté, des nouvelles universités médicales de la fin du XIXème, de réunir la théorie et la pratique. Ce credo est clamé aussi bien dans l’architecture que dans les œuvres d’art (bas-reliefs, tableaux, fresques…) que l’on peut admirer dans les universités du XIXème.
La nouvelle faculté de médecine et de pharmacie de Lyon
Publication du journal le Génie civil, 1931.
Lyon 1, BU Santé
Ces deux images montrent la faculté de médecine et de pharmacie de Lyon lors de sa construction au début du XXème siècle. Elles sont assez révélatrices de la prise en compte par l’architecture des principes des nouvelles universités. On notera surtout à gauche de la première photographie la présence de l’hôpital Edouard Herriot, construit en vis-à-vis de l’université et dans un souci architectural d’harmonie, ce qui correspond à l’implication des hôpitaux dans la formation du jeune médecin. Sur la seconde photographie, on remarque devant la faculté la construction du jardin botanique des futurs pharmaciens.
Les médecines alternatives et l'enseignement
Chez J.D. Class ; chez Amand Koeinig, 1798.
Lyon 1, BU Santé
"L'autre" pris comme critère scientifique
Histoire de la chirurgie depuis son origine jusqu'à nos jours
Paris : Imprimerie Royale, 1780.
Lyon 1, BU Santé
La médecine chinoise est découverte en France par les textes de Jésuites en mission en Orient. Il semble très clair que la médecine chinoise tout étonnante qu’elle paraissait aux voyageurs et aux médecins français, ne semble pas être remise en question en tant que médecine, même si celle-ci présente un autre rapport à la santé et à la maladie. Les deux images présentées ici illustrent une histoire de la chirurgie.
Mémoire sur l'état de la chirurgie à la Chine ; suivi d'une correspondance à ce sujet avec un missionnaire de Pékin
Société de Médecine, 1801.
Lyon 1, BU Santé
Ce texte ci-dessus relève des critères accordant à la médecine chinoise un degré de scientificité acceptable. Est principalement mis en avant, le fait que la médecine chinoise, comme la médecine hippocratique, soutient une pensée du corps harmonieux, de la circulation d’énergie…L’auteur considère ainsi que ce qui est bon dans cette médecine n’est au fond que la médecine hippocratique, malheureusement trop mal étudiée en occident. En un sens, l’enthousiasme des médecins à l’égard des médecines étrangères, tient souvent dans la possibilité qu’elles se donnent, non pas de pratiquer une autre médecine, mais de repenser la médecine occidentale.
Ce regard ethnocentré n’est pas indigne dès lors qu’il autorise au moins la rencontre avec l’autre sur le plan philosophique , sinon sur le plan thérapeutique. Il sera intéressant de voir ce que les enseignants en acupuncture à l’université pensent aujourd’hui de cette question. Pour cela, nous vous invitons à prendre connaissance de la conférence organisée par la BU Lyon 1 sur la place des médecines alternatives à l’université.
Le patient pris comme critère scientifique ?
Alors que le témoignage des médecins, mêmes de l’antiquité, valait pour vérité pratique et procédure intemporelle, le témoignage des patients a toujours fait figure de crédulité. Ainsi, les thérapies par la nature (eau, lumière...) ont toujours semblé plus miraculeuses que médicales. Il est vrai que le soin venant de la nature et non de la prescription du médecin, ce retour à une médecine hippocratique au détriment d’une médecine galénique était difficile à admettre pour un grand nombre de médecins. Le témoignage des soignés n’y changeait rien, bien au contraire.
Et même si les médecins intéressés par ces thérapies regorgeaient d’inventivité dont on reconnaissait la valeur technique, la question de la valeur scientifique de la thérapie elle-même restait volontairement en suspens. Dans l’image ci-dessous on peut voir toute une installation technique de soins atmidiatriques (soins par la vapeur).
Essai sur l'atmidiatrique; ou, Médecine par les vapeurs avec des gravures et la description et la description d'un nouvel appareil fumigatoire
Gabon, 1819.
Lyon 1, BU Santé
En effet, la découverte des propriétés de l’eau, des substances minérales qui y sont contenues a joué un rôle dans cette réhabilitation. Dès lors que l’eau, élément naturel, pouvait être prescrite en fonction de sa qualité et de ses quantités de minéraux, alors la médecine prescriptive s’est approprié aussi cette thérapie. Ainsi, chaque station thermale peut présenter son bilan « ferrugineux », sa liste de minéraux et les maladies pour lesquelles elle se présente comme thérapie.
Il aura donc fallut une justification scientifique, pour que les pratiques thermales soient validées et entrent à l’université : ainsi Maurice Villaret (1877-1946), à l’origine de la science hydrologique obtint la première chaire d’hydrologie en 1911 à la Faculté de Médecine de Paris.
La relativité des critères scientifiques ?
L'école médicale lyonnaise : catalogue commenté de la section régionale du Musée historique de la Faculté mixte de Médecine et de Pharmacie de Lyon
Paris : Masson, 1941.
Guérison de la paralysie par l'électricité : ou cette expérience physique employée avec succès dans le traitement de cette maladie regardée jusqu'alors comme incurable
Paris : Cailleau, 1772.
Lyon 1, BU Santé
Histoire de l'électricité médicale comprenant l'étude des instruments et appareils, le résumé des auteurs, un choix d'observations
Paris : Masson, 1854.
Lyon 1, BU Santé
Le débat au delà du critère scientifique
Le premier cas est celui où une médecine à la fois bénéficie de son statut d'étrangère pour être jugée sur des critères différents, tout en étant facilement acceptée par le lien qui peut être tendu entre cette médecine et la médecine occidentale : c'est le cas de la médecine chinoise. La médecine homéopathique bien que se présentant en même temps comme une nouvelle médecine (face à la médecine allopathique) et comme une médecine hippocratique, en faisant sien le principe de similitude des textes hippocratique, ne relève pas de ce cas. Est-ce le fait qu'il s'agisse non pas d'une médecine étrangère, mais d'une médecine occidentale et qui plus est relativement jeune, puisque son fondateur Samuel Hahnemann en a posé les principes entre la fin du XVIIIème et le début du XIXème siècle ?
J. B. Baillière, 1856.
Lyon 1, BU Santé
Le second cas est celui des thérapies naturelles qui n'ont eu que le soutien des patients pendant de longues années, jusqu'à leur justification scientifique rendue possible par le développement de la science expérimentale. Le résultat sur le patient, nous l'avions vu, ne fait pas office de preuve, puisque le placebo peut aussi bien être source de résultats positifs. On s'attendrait donc que l'homéopathie bénéficie aussi d'une scientificité reconnue avec le développement de plus en plus pointu de l'expérimentation. Or aucune des études scientifiques menées ne suffit à la légitimer ; l'homéopathie manque cruellement de preuves. Les expérimentations possibles à l'heure actuelle ne sont-elles pas encore suffisamment précises, la science n'a-telle pas encore assez progressé, pour justifier et offrir une légitimation à l'homéopathie ?
Guide du médecin homéopathe au lit du malade : pour le traitement de plus de mille maladies et répertoire de thérapeutique homéopathique
Baillière, 1874.
Lyon 1, BU Santé
Masson, 1941.
Lyon 1, BU Santé